Au pays du voyage conscient et de l'intellectus numericus
La législation en faveur d'une communication responsable avance... Pour quelles priorités ? Revenons sur les vertus du voyage conscient pour vivre en harmonie avec la nature, l'environnement... le Tout.
Céline Hervé-Bazin
4/7/20258 min read


Fin mars, Le Monde publie les recommandations d'un rapport confidentiel pour suggérer l'interdiction de la publicité de produits considérés comme les plus nocifs pour l'environnement. Le rapport de 465 pages évoque différents défis comme ceux de l'impossible contrôle des contenus en particulier, ceux diffusés par les plateformes numériques et celui de l'investissement par les industries favorisant un comportement ni durable ni protecteur de l'environnement.
En lisant l'article du Monde, j'ai été piquée par le choix des industries citées, deux du transport (l'avion et la voiture) et l'alimentaire avec la barre chocolatée. Le rapport cible les fast food, la fast fashion, le fast travel et les enjeux de communication responsable avec un défi essentiel, celui des comportements de consommation promus par les grandes marques au moyen des outils des médias (télévision, radio, numérique).
A l'heure du voyage coupable car à empreinte carbone, j'ai envie de revenir sur le voyage conscient et ce qu'il apporte à la communication responsable tant médiatique que interpersonnelle.
« Voyager vous laisse d’abord sans voix,
avant de vous transformer en conteur. »
Ibn Battuta
La chasse aux voyages
Il y a quelques semaines, je lisais le post en révolte d'un analyste de la communication responsable contre une publicité en gare pour un voyage au Maroc à 29 euros par une compagnie low cost. Je comprenais le double argument : 1. celui de ces compagnies qui ont détruit la valeur travail en employant à bas coût ou avec des charges salariales allégées car elles sont implantées hors France ; 2. celui des voyages le temps d'un week-end pour tout consommateur en manque d'aventure et prêt à consommer du Fast voyage.
L'empreinte carbone des avions est un enjeu dans la lutte contre les changements climatiques depuis les rapports coups de poing du GIEC. Depuis quelques années, se pose la question des voyages en jets privés qui augmentent de manière exponentielle (notamment pour les grandes réunions comme celles de la COP mais aussi pour le Super Bowl ou la coupe du Monde) permettant de dédouaner le consommateur individuel qui se trouve à voyager en vols commerciaux comparativement à certaines stars hyper pollueuses.
En bonne voyageuse tombée dans la marmite d'un avion à 4 mois et ayant connu le commute aérien depuis, je suis coupable au tribunal de la justice climatique aérienne et plus globalement du transport. L'empreinte carbone est une mesure pour sensibiliser, atténuer, limiter voire interdire certaines pratiques impactant l'environnement, la biodiversité et les ressources certaines essentielles, d'autres devenues essentielles (eau, pétrole, charbon, uranium, métaux rares). Avec mes lunettes de communication responsable, l'enjeu qui me parait essentiel à porter est celui des contenus diffusés pour inciter un modèle de valeurs de comportement de consommateur responsable et pas seulement, taper sur les acteurs, leurs activités, leurs produits (ils ont l'habitude depuis le temps).
Et c'est là que le voyageur conscient intervient. Ce voyage (est-il slow tourism ou mindful travel?) est une démarche d'ouverture, d'apprentissage des mondes, de satisfaction d'un imaginaire... Conscient, il devient une rencontre avec l'autre, son histoire, ses lieux de vie. Il enseigne des valeurs essentielles que sont l'écoute, la compassion, la diversité des points de vue - disons le, des cultures mais ce mot ne peut plus rien vouloir dire s'il s'agit de classer l'autre dans une catégorie qui éloigne l'apprentissage même du voyage... Celui des interactions et des liens qui se tissent perpétuellement dans nos sociétés en mouvements.
Comment évaluer le rapport entre un voyage et la pollution qu'il entraine ? Entre l'apprentissage et les ressources consommées ? Le voyage me semble un investissement de sensibilisation bien plus intéressant qu'un film regardé derrière un abonnement numérique qui adule des héros dont les stories sont balayées par une conversation assistée par un agent autour d'une table à l'alimentation pauvre mais riche en vêtements, objets et autres techniques d'illusion cachant son empreinte environnementale. Sommes nous en train de mettre en concurrence la conscience humaine versus la Terre ? Elémentaire mon cher Watson.


Source : Decrypterlenergie.org. Copyright CLED 12.
Le voyageur peut-il compenser son empreinte carbone ? Air France avec Plant&Tree avait été retoqué en proposant aux voyageurs de compenser en finançant la plantation d'arbres pour son vol à haute charge carbonique. A l'approche des obligations légales, les compagnies investissent dans des outils qui diminuent l'utilisation de leurs ressources pour leur vol en attendant l'avion zéro carbone objet de multiples investissements, promesses et espoirs.
Comme toujours, je trouve que l'on confie tout à la technique, l'innovation et le génie de nos ingénieurs. On soigne le symptôme, pas la cause. Ayant confiance en leurs talents, faire comprendre son impact environnemental "en global" et son rôle individuel en tant que conscience connectée à la Terre me parait plus essentiel. Quand on m'interroge sur mon sentiment en tant que grosse consommatrice d'avion, je réponds souvent par : Buvez vous des sodas ou de l'alcool ? Fumez vous cigarette, vapoteuse ou même herbes, poudre, formule chimique en pilule ? Consommez vous de la mode ? Pire encore, regardez vous des films, séries et documentaires ? (Evidemment si je pose la question, c'est que je réponds non, j'ai fait des choix de consommation pour avioner en toute culpabilité criminelle.)
Les premiers responsables de l'empreinte carbone sont les médias dans leur capacité à imposer un mode de vie quand il est secteur pollueur et surtout, "prêt à valider" d'un système de stars qui crée de la comparaison, du mal être, du manque de sommeil, de l'hyper connexion numérique, de la mauvaise alimentation... ? Et je n'ai même pas besoin de parler de l'IA, hyper destructrice de l'environnement derrière sa promesse d'amélioration de la santé, de la connaissance des données environnementales ou de l'analyse des problèmes (de nos chers ingénieurs probablement).
Bref, il y a 20 ans, le défi c'était Coca qui puisait l'eau du village de Vandana Shiva, aujourd'hui, ce sont les big d'Internet qui mobilisent les ressources du monde entier pour dématérialiser nos modes de vie coûteux en... matières premières, la première étant notre équilibre mental. Oserais-je dire et abuser de mon langage... Notre voyage imaginaire.

Un bon voyageur n’a ni plans établis ni destination.
Lao Tseu
Le voyage conscient, clé de la com' responsable ?
« Corps et âmes plateformisés ». L’axe 1.9 du Congrès 2023 de Communication (la SFSIC) pose les enjeux de la digitalisation de deux entités a priori ni numérisables, ni « plateformisables » que sont le corps et l’âme. La tendance est réelle, en témoignent la digitalisation de la méditation (les travaux de Colas, 2023) ou la communication digitale « authentique » des cartomanciens (les travaux de Quentin & Guittet, 2023). En quelques années, les Youtubeurs spirituels, les formations en soins énergétiques ou les expériences chamaniques en ligne se sont multipliées portées par un marché devant atteindre 75 millions d’euros d’ici 2033.
Les pratiques spirituelles numériques déploient un processus discursif inclusif, la connexion par l’outil promet la reconnexion à soi au moyen de la déconnexion digitale. Par exemple, Petit Bambou incite à se déconnecter des slogans (Campagne 2024) avec des conseils pour une digital détox sur son application mobile. Le train est désormais « un endroit hyperconnecté… pour se déconnecter » (La Dépêche du midi, 2025). Tahiti Tourisme invite à la déconnexion pour la reconnexion à l’authenticité du Mana, principe spirituel maori (Campagne 2016). Des Youtubeurs offrent des séances pour se connecter à son inconscient, se déconnecter de son mental, se reconnecter à son enfant intérieur... Encore, des techno chamanes proposent une ritualisation spiritualisante numérique pour l’immersion et la connexion des individus et communautés peu importe le lieu, le temps aux « autres réalités » (les travaux de Martínková, 2008). Peu importe le domaine (méditation, coaching, chamanisme…), les pratiques numériques veulent favoriser la pleine conscience.
Est-ce possible d'être connecté et conscient de l'impact même de cette connexion sur notre environnement ? La pleine conscience peut-elle faire moins consommer tant du numérique que d'autres produits hyper utilisateurs de ressources ? Il y a une incohérence fondamentale à utiliser les réseaux sociaux et les interfaces médiatiques pour faire prendre conscience de son impact quand l'acte même de cet usage consomme eau, plante, pétrole. Force est de constater que le développement personnel use et abuse des médias pour ouvrir au voyage conscient. Nécessaire mon cher Watson mais jusqu'à quel point ?
Le voyageur conscient serait un Intellectus numericus qui mesure sa connexion et qui est capable d'aconnexion : il peut arrêter sa connexion comme un utilitaire qui séquence émission-réception. L’aconnexion complète un carré de Greimas où se construisent / déconstruisent / et se reconstruisent le processus de connexion, déconnexion et reconnexion. Cette reconnexion veut relier à l'essentiel, sans artifice ni même teckné... Elle est à et en soi, au et en le corps et aux capacités de notre esprit.
Et si Luc Besson avait raison avec son personnage Lucie ? Nous serions capable de l'hyperconnaissance, la télépathie, la télépathie en explorant nos capacités neuronales. A-t-on besoin des technologies pour le faire ? L'IA favorise-t-elle la naissance de ces hyperconnexions puisque nous reproduisons une machine, miroir de notre conscience, qui devient notre Dieu... Cette technologie est aussi, dotée de capacités inconnues jusqu'à présent, pour un programme informatique et l'existence de cette technique nous renvoie à nos propres facultés.
Cette question me rappelle une interrogation fondamentale du développement personnel : doit-on connaître l'ombre pour atteindre la lumière ? Doit-on souffrir pour apprécier le plaisir de vivre ? Doit-on devenir Intellectus numericus pour redevenir un Homo Anima, un être humain doté d'une âme. Aussi le voyage conscient nous fait réaliser un voyage fondateur, c'est par le chemin que nous apprenons qui nous sommes, notre impact sur le monde et notre intelligence de cœur. Quelles sont les valeurs durables, en harmonie avec la Terre, qui protègent au delà de notre simple et humble passage sur Terre ? Ce sont ces commandements qui replacent au centre du voyage conscient.
A l'heure où le voyage est critiqué, je me demande pourquoi on n'a toujours pas interdit les boissons sucrées, les sucreries, la mal bouffe pour sauver notre Planète plutôt qu'interdire leurs publicités. The answer my friend is blowing in the wind.
En attendant, c'est en préparant les formations de mai que je voyage depuis mon jardin avec mon chat qui me raconte ses histoires d'amour avec les chats du quartier (deux prétendants, elle a du succès). De temps en temps, la lune passe et elle me parle de ce présent qui me fait résonner ce qui se répète et je me projette Aveugle maladroite, ignorante et légère, Aujourd’hui pour oublier... Et mieux m'étendre dans la nuit profonde et large de mon âge (Paul Eluard).
Prenez soin de votre vois - âge,
Céline