En Martinique, voir la nature

« Mes premières vraies vacances… »

France Gall chante ces sensations excitées de partir pour la première fois sans ses parents, en vacances. Ma première fois se passe en Martinique grâce à une amie qui me propose de l’accompagner rendre visite à son oncle Martial. Militaire titré muté à Fort-de-France, il habite une résidence au milieu des cannes à sucre et à proximité d’une distillerie de rhum. La maison est grande, blanche et élégante. Les gecko cohabitent avec les araignées et une faune tropicale plutôt avenante. L’atmosphère est douce et bienveillante. Grâce à tonton Martial, nous bénéficions d’une voiture et partons à la découverte de l’île.

Le désir de l’aventure s’éveille. Mon amie Alice veut arpenter les plages et les baies, je veux expérimenter la randonnée. Nous mélangeons les expériences et une randonnée au plus près de la nature, hélas en plein soleil. La chaleur, la marche et l'effort physique rebutent ma copine, elle préférerait se détendre avec le sable et l'eau turquoise. Je pousse en proposant la découverte d’un chemin au creux d’une vallée et la promesse d’une cascade et d’arbres protégeant l’ombre de cette exploration. L’argument fait mouche, elle accepte du bout des lèvres, affichant une mine résignée et curieuse. Elle semble heureuse de se lancer hors des sentiers battus. L’aventurière en elle est tentée.

La route s’avère contrariée. Nous galérons. Les difficultés pour trouver la bonne route s’accumulent : des travaux, une déviation, des panneaux contradictoires, un tronc sur la route, de l’eau qui coule abondamment sur le béton en pente vers un ravin dangereux... Alice garde son inquiétude pour elle, son expression traduit ses reproches silencieux. Elle se retient de dire, je suis la seule dotée d’un permis de conduire et je détiens un pouvoir de décision sur nos déplacements. J’avoue être proche de la capitulation quand un rayon de soleil magnifique traverse la végétation. Je ralentis et découvre la route cachée. J’emprunte avec certitude le chemin peu goudronné pour arriver à un parking. Là, une voiture garée et un panneau signalent que nous sommes bien au point de départ de la randonnée secrète. Je souris. J’entends l’eau qui m’appelle.

Alice soupire soulagée d’avoir trouvé, mais inquiète d'emprunter un chemin esseulé. Je prends le bâton de l’instinct et pénètre sans hésiter dans un sentier. Alice s’étonne de mon assurance et se plaint de ma vivacité. Elle constate que j’avance vite. Mon pas me presse, c’est un appel irrésistible qui me fait avancer, Alice ou pas Alice. Rapidement, plusieurs mètres nous séparent et je déboule sur une rivière couverte de lumière. Un homme est présent, occupé à des ablutions. Il lève la tête et me regarde avec bienveillance. J’ai l’impression qu’il m’attendait. Nous échangeons quelques mots sur la cascade et d’un sourire, il m’invite à le suivre. Alice qui arrive à cet instant, dévoile tous les scénarios du pire d’une expression sur son visage. L’homme tente de la rassurer, elle m’adresse un regard désespéré. J’ai confiance, je le suis.

Nous progressons dans ce qui ressemble à une jungle et à une légende luxuriante racontée par la végétation. Au cœur de l’inconnu, je vis la découverte ultime et grisante de l’exploration inconnue. Je ressens de plus en plus une force qui brûle dans mon cœur. Des oiseaux passent et chantent. Les fourrés s’agitent avec la couleur des fleurs. La lumière est délicieuse. La rivière révèle ses dédales et une destination unique. Tout semble suspendu quand nous arrivons face à la magnifique coulée d’eau. L’homme a une expression de grâce sur son visage. Je sais qu’il parle à l’eau, que son corps épouse l’instant, que l’endroit l’attendait lui aussi. Il semble entamer une discussion silencieuse avec la nature. Après quelques secondes de communion, il se tourne vers nous. Il nous propose d’aller dans le dernier bassin encastré dans des gorges magnifiques. Alice refuse, je passe devant l’homme sans attendre.

Sans hésiter, je trouve les cavités qui permettent de rebondir d’une pierre à une autre et d’accéder au bassin. J’attends mon comparse qui sourit, il est impressionné par ma dextérité et mon aisance. Il déclare qu’il a l’impression que « j’ai fait ça toute ma vie. » Il passe devant moi m’annonçant qu’il veut m’ouvrir la voie si je l’autorise. Sans attendre, il monte une marche cachée et se retourne avec une expression joyeuse. Je prends la main que l’homme me tend et j’atteins la paroi éclairée où l’eau dégouline avec beauté, force et simplicité. Il s’assoit, je l’imite. Et là, une lumière se pose sur son visage. Il ferme les yeux. Son expression est pure communion. Il est tout entier à sa cascade. Je vibre avec lui et je l’envie. Jamais je n’ai vu un être autant connecté à un lieu. En le voyant, je sais. Je comprends. Il y a des endroits qui vous habitent corps et âme. Cet homme, dont je ne connais pas le prénom, a marqué mon premier pas de médium.

Avec lui, j’ai appris l’essentiel de se connecter et d'être relié à sa maison. Pour lui, cette essence est sa cascade. Aujourd’hui, avec le temps, mon lieu est l’endroit où l’océan et le ciel se confondent comme des miroirs. Ce site se trouve là où j’ai grandi. Il est un entre-deux magique et magnifique des eaux et de la lumière. Ce lieu est mon pèlerinage, j'y recharge mes batteries. C'est mon temple où je prononce mes prières et j'échange avec l’univers. Cet espace est toujours en moi. Il vit avec mon sang, mon esprit et mon âme. Ce temps infini est la maison essentielle qui rend tous les voyages possibles.