Controverse Duplomb : droit du sol, devoir du lien
La Loi Duplomb remue l'espace médiatique estival avec une pétition signée par plus de 2 millions de Français. Prenons le temps d'un regard sur une controverse terre & virtuel.
Céline Hervé-Bazin
8/4/202511 min read


Ce mois de juillet, une fable aux valeurs opposées anime les réseaux engagés pour l'environnement et le débat public avec son habituelle cacophonie que les défis écologiques, complexes et intriqués, facilitent (rappelant une histoire d'eau).
La Loi Duplomb a ouvert un ring où les catcheurs s'assemblent et se ressemblent au rythme des schémas que les controverses nous enseignent, pantomime immédiate qui n'a besoin d'aucun transfert pour paraître vrai.
Avec un soupçon de décodage symbolique, ce morceau de législation vaut son pesant de plomb. Prenons le temps d'une analyse de ce que ces nouveaux échanges dévoilent de notre conscience... ou plutôt, notre communication inconsciente.

« L'Eternel m'a délivré de la griffe du lion et de la patte de l'ours,
et il me délivrera aussi de ce Philistin. »
Samuel, 17 : 37
Cacophonie plombée
La Loi Duplomb a un caractère prédestiné... Déjà par son nom. Duplomb dans la tête et dans les ailes, cette législation évoque des années lourdes, qui pèsent sur la politique française au point de nous faire péter les plombs. Ce plomb tombe sur le fil d'information tel au ciel gris français en plein été sans soleil... de plomb. Les altercations crient à la désinformation créant du plomb sur la ligne au point de réveiller la douleur d'une carie au plomb un tantinet minée... Il faut dire que cette loi a été co-créée par Franck Menonville, de quoi nous endormir à force de répétition. Ce second nom prophétique ne pouvait que provoquer des réactions urbaines... à la hauteur des non répétés contre cet acte juridique. Mais non, mais non...
Bref, elle est idéale pour les jeux de mots nous promettant une alchimie unique digne des meilleurs artistes hypermédiatiques. En résumé, la loi Duplomb, c'est l'histoire d'un baptême mal entamé à l'oraison prévisible surtout si on aime paramétrer l'agenda. Cet été risque de durer trois quelques plombes.
Le texte en lui-même est voté le 8 juillet 2025 après deux ans d'allers-retours, il provoque un flibustier en plein hémicycle par un autre nom marquant, Fleur Breteau. La fondatrice du collectif Cancer colère porte un nom qui combine la beauté florale, l'élément bleu vital et l'appel de la montagne, en plus d'incarner son sujet. Tête sans cheveux, yeux tirés par la chimiothérapie qu'elle suit pour lutter contre son cancer du sein, elle est une figure engagée dont les photographies rapprochent de l'égérie fantomatique de la Mort ; d'Evey Hammond dans V pour Vendetta ; ou encore, de la scalpation au nom d'une guerre sacrée et d'une cause supérieure.
Elle est suivie par Eléanore Pattery, une seconde alliée faisant office de miroir des deux masculins (Du plomb ? Mais non Ville) à la tête de la loi. Cette jeune femme de 23 ans continue l'innocence de Jefferson Smith. Ses mots sont simples, quasi naïfs quand ils rappellent les grands textes ayant fait naître le développement durable comme principe ordonnant notre communauté internationale : elle rappelle l'historique depuis le Rapport Brundtland. Avec ses lignes, elle est David contre Goliath, la jeunesse idéaliste et engagée qui devient un porte-drapeau sans le vouloir, rembobinage de l'iconographie d'une Jeanne d'Arc qui veut bouter les lobbys hors de l'Assemblée.
La Loi Duplomb est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire.
Elle représente une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire, et le bon sens.
En validant cette loi, vous violez potentiellement ce droit constitutionnel, et portez atteinte à l’obligation de précaution, pourtant consacrée par le principe n°15 de la Déclaration de Rio et repris dans notre droit.
Aujourd'hui je suis seule à écrire, mais non seule à le penser.
A partir du 18 juillet, le nombre de signatures connait une croissance exponentielle et le temps d'un week-end, la pétition collecte plus d'un million de signataires et dépasse les deux millions, le dimanche suivant (le 27/07). Très vite, la jeune femme retire sa voix annonçant sa candeur honnête au profit des experts du sujet. La toile socio-télévisuelle s'est déjà emparée de son manifeste pour inciter à voter contre. La loi Duplomb devient un acte démocratique ultime à l'heure où les référendums sont obsolètes et les mécanismes de contestation limités (dixit le camp des fâchés de la démocratie française et / ou du gouvernement Macron).
Le cycle informationnel et communicationnel est là, storytelling en or à l'effet chappe de plomb. La loi Duplomb reprend en effet, les grandes clés du schéma narratif : opposants, héros, adjuvant, grande cause... Mais qui est la Princesse ? Est-ce Gaïa ? L'alimentation pour tous à un prix abordable ? L'union européenne ? Le revenu des agriculteurs ? La réponse tombe à plomb, à pic, à plat... Que dis-je ? La réponse est une confusion médiatique qui change la parole en or afin d'instaurer un silence de plomb.
Art rhétorique contestataire















La controverse Duplomb mobilise l'esthétique de l'alimentation saine, la nature vulnérable, l'humain engagé s'opposant aux lobby puissants, au poison caché de la fast food, fast agriculture et au système démocratique qui n'en est plus un. La surprise de ce réveil contestataire rassure, les rebelles sont toujours là, les sentinelles aussi... Mais pour quel impact ? Même Pierre Niney (acteur) ou Julien Doré (chanteur) ont pris parole contre la loi, comble du mécanisme de la Double Influence réintégrant en son sein, cette vague d'experts qui souhaite alerter sur un problème de fond : qui a le droit du (comment cultiver) sol ? La loi Duplomb légifère sur nos cultures et leurs récoltes impactant directement nos ressources en eau, notre santé, notre environnement, etc. Voilà encore un cas de communication élémentaire qui continue un plaidoyer : quelle conscience avons-nous des liens qui forment la chaîne des valeurs de notre société interconnectée ?
Au delà des enjeux techniques - j'imite Eléanore, c'est la diffusion médiatique et ses images qui répètent une énième controverse dont le but est "d'influencer le grand public ou de peser sur les processus de fonctionnement des institutions scientifiques ou des instances de régulation" (Allard-Huver & Domenec, 2021). Une courte épopée visuelle des publications sur LinkedIn suffit pour comprendre la mobilisation des imaginaires et des lexiques des opposants à la Loi. Au cœur des allégories, une idéologie : pour l'agriculture lente, écologique voire bio ; contre l'agriculture performante, compétitive et à grande échelle. Il y a comme une résonance binaire sur cet espace public.
Il est impossible pour un non-expert de véritablement saisir les enjeux de cette loi, il est impossible pour un expert d'apporter une explication éclairée sans partager un engagement (qui s'avère nécessaire). La Loi Duplomb appartient à ces débats qui affectent autant la cause environnementale que la société de l'information et communication. Qui dit vrai ? Comment se faire une opinion ? Pourquoi est-ce important de comprendre, se positionner et s'engager en signant la pétition contre... et maintenant, la pétition pour.
La grandeur d'une nation et son progrès moral peuvent être jugés à la manière dont les animaux sont traités.
Gandhi
Or typographique
Quand j'observe ce champ de bataille, je travaille sur un projet dédiée à la calligraphie. Je me retrouve à lire les vertus de l'alchimie de la lettre, la puissance du graphe et l'héritage de l'imprimerie dont les caractères sont issus d'un alliage plomb, étain et antimoine. Ce plomb typographique a révolutionné notre Village global.
L'écriture de Gutenberg aujourd'hui réseau social surabondant et écrit d'écran a perdu sa superbe et sa vérité. La facilité de converser et déverser ses avis sur le Net avec l'IA en assistant caché ou assumé, a changé l'or de la connaissance pour tous en méfiance, défiance, absence d'humanisme. Les années de plomb ne font que commencer.
Beaucoup se félicitent qu'un tel débat réveille l'opinion en plein été, là où les vacances devraient préoccuper chacun d'entre nous. La Loi Duplomb serait le signe d'une démocratie en action, d'une écologie qui mobilise, d'un débat sain à l'heure où la pensée est menacée par l'IA dont les experts s'époumonent à nous assurer que les algorithmes n'ont pas encore colonisé nos idées, ni induit notre esprit critique.
Vive la Loi Duplomb ! Vivent les altercations ! Voyez ! Lisez ! Les controverses sont une preuve de la bonne santé de notre société numérisée qui s'écharpe à coup d'expertises, opinions, faits... au moyen de post générés par l'IA qui ne fait que grossir le trait et aggraver l'hémorragie faite à l'information. Nous avions créé les médias pour arrêter le fait du Roi - lui seul contrôlait le savoir, ce qui a laissé place au pouvoir de la confusion. Et l'IA est sa meilleure alliée.


Oyé, soyez rassurés, l'IA n'a pas répondu à la question pourtant essentielle, que penser de cette loi ? ChatGPT, IA mainstream bientôt âge de plomb, offre une réponse mythique : nous sommes dans de la fiction, sorte de fable médiatique répétée des controverses environnementales affectant les fondements des Sciences de l'Information et de la Communication (lire le formidable article de François Allard-Huver à ce sujet). Mais pourquoi l'IA sèche ? L'IA sait toujours tout sur tout... y compris sur le futur de l'Humanité. A l'heure du Soleil des Plombs, pieds et sang liés à leur terre, le débat des valeurs est devenu malédiction. Cela appartient à la politique ou plutôt, à l'idéologie que la technologie perpétue.
La "révolution IA" est devenue Mot-Machin, fourre-tout des promesses et peurs qu'incarnent cette technologie aux neurones puissants et ses outils qui accélèrent, augmentent, servent la quête effrénée à la performance économique des entreprises. C'est une névolution sociale à enfermer encore plus derrière l'écran et à favoriser un savoir prêt-à-penser... Mais est-ce un développement, une croissance, une élévation pour notre Humanité ?
Des jambes en or, des idées en plomb, cette Loi finalement cristallise une alerte : nous n'avons plus le droit du sol, ni même le devoir du lien... Tout est terminé. Nous avons remporté la victoire sur nous-même. Nous aimons notre confusion - créature artefact du théâtre de notre pensée. Jefferson a été rebaptisé Winston Smith.

You always make it there, you make it anywhere
It's up to you, New York, New York.
Frank Sinatra
Récit acétamipride
J'adore New York. La première fois que j'y ai foulé les pieds, c'était pour mes études. J'ai chanté I am an English Man in New York sur 30 blocs buvant la ville avec mes pas et mes yeux plongés dans le ciel métallique des skycrapers. J'ai réalisé le poids de son imaginaire en visionnant Le Cinquième Elément. Cette fable nous projette dans un futur qui me parait horrible... Vivre dans un 4 mètres carrés au sein d'une mégacité hyper polluée et sauver le monde avec un robot humanoïde qui apprend à aimer et dont le héros tombe amoureux (mais qu'ont-ils ces hommes à aimer des programmes ??? A bien y réfléchir, les dystopies ont vraiment incité à préférer les amours virtuels).
Aujourd'hui, le cercle écologique espère changer la conscience environnementale avec la force des récits en imaginant 2050. La controverse Duplomb continue la guerre des récits et... rappelle le poids des mots. Si les caractères de plomb provoquant le Saturnisme ont disparu, les lettres numériques signent des maladies post-digitales aux formes inconnues jusque-là. Elles associent le bruit perpétuel, le clic immédiat, le texte rapide, le défilé des images et le masque de l'être. Ensemble, ils se déforment, se transforment, et enfin ils entrent dans votre être, ou bien vous entrez en eux. Et dans un étourdissement, la connaissance sait, l'égo aussi. Je peux vous prouver que les sachants de paradis font leur enfer, le préparent, le creusent avec un succès dont la prévision les épouvanterait peut-être.
Et dans un contre qui renverse les mots d'une poésie perverse que Charles Baudelaire a si bien versée (et fumée), j'accepte ta méprise, celle qui me fait croire que nous pouvons ignorer les effets d'une neurotoxique sur nos plombs - je parle des écrans, pas de l'acétamipride, autre mot extraordinaire en langage des oiseaux... Quand la victoire frappe avec orgueil, accueille l'âme qui orchestre la dignité... Il est temps de plomber l'ambiance, au droit de s'informer succède le devoir de s'informer par l'éducation, la réflexion, l'usage raisonné, l'acceptation du temps qui change le plomb en or, métaphore de l'éveil qui fait basculer l'inconscience en communication consciente.
Nom d'une abeille et purée de plomb, prenez soin de votre or, notre aplomb s'emmêle les crayons (à mine tendre évidemment).
Céline
De l'or dans la cervelle
Pantomime immédiate qui n'a besoin d'aucun transfert pour paraître vrai. Référence au merveilleux texte de Roland Barthes sur les vertus du catch. Un must read de la communication.
Pesant de plomb, jeu de mot avec pesant d’or évoquant la valeur d’un sujet ou d’une personne.
Du plomb sur la ligne, de la friture sur la ligne de retransmission.
Mais non, mais non... Chanson symbole d’ANAMANA écrite et chantée par Henri Salvador. Plaisir des oreilles, la version Muppet qui vaut son pesant de sourires.
Paramétrer l'agenda, référence à la théorie de l'Agenda Setting.
Du plomb ? Mais non ville ! Jeu de mots avec les deux noms de Laurent Duplomb et Frank Ménonville. Oui, c’est ce qu’Albert Camus pourrait décrire : « Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde ». Appeler la loi sous son patronyme quand elle autorise un pesticide avec des qualités toxiques, c’est jouer avec le feu.
Jefferson Smith, héros de M. Smith au Sénat, ce personnage incarne le jeune idéaliste prêt à tout pour défendre sa cause.
Bouter les lobbys hors de l'Assemblée. Ah Jeanne qui « bouter définitivement les Anglais hors de France », une de mes phrases favorites… au rugby.
A plomb, à pic, à plat... Que dis-je ? Référence à la tirade de Cyrano de Bergerac (je ne m’en lasse jamais).
C'est la parole qui est d'or ; le silence est de plomb. Phrase d’Hervé Bazin dans Ce que je crois, sorte de rappel que la communication peut éviter l’ambiance morose née des non-dits. L’auteur fait un pied de nez au proverbe, la parole est d’argent et le silence est d’or. L’aïeul relate néanmoins une réalité, rien de pire qu’un silence quand il y a des choses à dire.
Double Influence. Théorie de la communication à double étage proposée par Paul Lazarsfeld et Elihu Katz.
Village Global, image utilisée par Marshall McLuhan pour évoquer l'impact des médias sur notre société, ces derniers créant une mondialisation de l'information et un rapprochement des pratiques et usages des médias.
Ecrit d’écran, expression d’Emmanuel Souchier qui observe les impacts des pratiques d’écriture numérique.
Soleil des Plombs, référence au formidable Soleil des Scorta qui rappelle combien une famille, une communauté peut choisir de rester dans son village… son monde enfermé et limité ?
Mot-Machin. Claude Lévi-Strauss disait du Mana pour qualifier ce mot qui ne pouvait être défini.
Névolution , syllogisme né du Carré de Greimas. Le contraire d’évolution pourrait être régression, celui de révolution, soumission… Et pourtant, ensemble, ils forment une non-évolution, sorte de stagnation que la confusion génère.
Nous avons remporté la victoire sur nous-même. Nous aimons notre confusion - créature artefact du théâtre de notre pensée. Phrases inspirées des derniers mots de 1984 que je viens de relire après quasi 20 ans. Oui, le roman est terrifiant à l’aune de notre contemporanéité.
I am an English Man in New York. Chanson de Sting à écouter, réécouter…