Quand on a que le deuil à donner en partage
Faire le deuil nous dit-on. Vivre la mort est un cadeau quotidien. La mort nous définit, c'est notre destination. Voyage, elle nous enseigne le baiser de la vie.
Céline Hervé-Bazin
5/20/202512 min read
[Expérience de l'année]
Ce post, il résume une année d’apprentissages. Du 20 mai 2024 au 19 mai 2025. 365 jours. C'était un lundi. J'ai reçu une décharge à multiples stimuli. Depuis, j'observe et j’épluche ces essences qui se sont catalysées en 24 heures.
Le temps de la révolution de la Terre autour du Soleil, l'illusion de l'éducation, du lien et de la séparation a été balayée... Avec l'IA, éduquer aux médias est devenu une mission impossible. Avec l'explosion du développement personnel en ligne, la connaissance de soi est un double jeu devenu conversationnel. Avec un anniversaire, un livre est né.
Et tout ceci est une bonne nouvelle.
Ce qu’il faut chercher et trouver
c’est la douceur sereine d’une inébranlable paix.
Alexandra David-Néel
Requiem pour Emile
Le 20 mai, j'allais assister à ma première réunion de future enseignante-chercheuse. Je reprenais le chemin de l'université piquée par cette révolution IA dont les médias nous abreuvaient comme the place to be, un tramway nommé désir. J'avais envie de m'informer, comprendre, apprendre. En un an, j'ai essayé ChatGPT et mes étudiants m'ont montré plusieurs IA en me vendant leurs mérites. Je me suis retrouvée face à une expérience déjà vécue, le copiage (après le photocopiage) de contenus venus d'Internet. J'ai laissé faire en encourageant à poser ses idées avant d'utiliser le clic.
Premier deuil. La sensibilisation est inutile, l'éducation est morte, le bonheur sans combat a laissé la vertu se décourager. Vive la paresse de la pensée. Peu importent les arguments, le réflexe IA est aussi certain que celui de Petite Poucette mais hélas, cet agent double opère en tour de contrôle usant de la codépendance que les réseaux sociaux ont préparé. Quelques mots et promptracadabra, mon exposé est prêt. Et hop, je retourne à mes TikTok, Insta, Snapchat... mes ennuis, mes emmerdes, mon monde stone de shots d’adrénaline. Ajouté au déclin de l'attention, le lien à la Terre, l'espace commun et l'intelligence communautaire sont remplacés par un monde virtuel accroché à l'Espace-Temps.
Ces injonctions sont incarnées par la population la plus importante de notre Planète, les 75 milliards de machines connectées qui commandent notre capacité de penser.
Aujourd'hui, quand je lis un expert de l'IA, je me demande toujours la part qui vient de lui et celle du robot. Nous doutions déjà du journalisme, l'écriture elle-même est devenue suspect. Qui écrit ? L'auteur a-t-il rédigé des mots qu'il a peut-être écrit de sa plume puis ses touches ; transmis sa voix à un transcripteur vocal ; laissé une machine réfléchir à sa place... Dur dur d'être intelligent.
Une solution paraît pour espérer élever la pratique, celle de la trace... Bientôt, nous verrons la naissance d’un curseur du pourcentage humain-machine sur nos contenus avec une tolérance de 30% (seuil établi à l'université… 70% humain, 70% d’eau dans le corps, un vieil argument d’experte).
Et bien sûr, gardons cette machine gratuite (sans protéger ses droits d'auteur) car elle génère des contenus à partir du travail des autres. Après tout, les programmateurs se paient au clic, et très prochainement, à la commission sur services rendus. En attendant de déshabiller le diable de son Prada, les utilisateurs passent de l’écran-solide à l’écran-gazeux, accro à une pensée uniforme dont il nous revient de redéfinir l'éthique et le rôle sur nos décisions.
L'IA gomme les inégalités d'intelligence et notre intelligence devient artificielle au nom de l’égalité des chances. Les différences sociales affichées par les usages du passé sont mortes sur le théâtre des jeux virtuels. Il faut dire qu’avant, temps archaïque d’un sujet, un objet, une chose à la fois, celles et ceux qui savaient écrire se distinguaient. La différence entre celles et ceux qui savaient se souvenir, mémoriser, retenir, attiraient l’attention. Le Jugement célébrait celles et ceux qui savaient penser et argumenter. Il paraît que je coche ces catégories… dotée de capacités particulières aujourd'hui nommées neurones atypiques. Et cela diffuse une nouvelle catégorie hypersensible devenue à la mode. En attendant, j’ai appris que l'éducation de mes parents et grands-parents n'y était pour rien...
Et pourtant, ce sont eux qui m'ont inculqué que lire, c'est essentiel. Tous les jours, ils m’ont appris à chercher les mots dans le dictionnaire ; réciter des textes et des définitions par cœur ; dessiner des chronologies y compris celle de ma vie ; et souvent, très souvent, ils m’ont poussé à danser, nager, marcher, courir, construire des cabanes, cuisiner en chantant... Ils m'ont inculqué une clé essentielle : le savoir se bâtit dans l'équilibre entre activités et repos mental et physique.
Ce que le numérique nous fait oublier… Nous sommes toujours connectés, devenus dépendants de cet écran qui est notre nouvelle fenêtre de vie. L'IA tue le lien parents-enfants déjà éprouvés par la télévision, le digital, les réseaux sociaux, les séries à disposition... tout autant que celui enseignant-étudiants.
En 2024-25, j’ai – trop – entendu que je ne suis plus professeure, "je suis coach". Le coaching est un outil au service d'une démarche personnelle de formation. Le métier d'enseignant change, fini le Sachant dont on ne veut plus parce qu'il écrase à demander des efforts pour s'élever à sa hauteur. Ce nouvel idéal pédagogique détruit l’émulation individuelle et une concentration collective dans le but de former un groupe pensant. Tout ceci renforce le développement personnel dans ses travers et légitime l'égoïsme caché derrière les mots de bienveillance, pleine conscience, alignement à soi… Il y a une différence entre complimenter, reconnaître, mettre en confiance et flatter, connaître, nourrir l'égo de l'autre pour mieux créer des liens de lien-contre liens.
Avec mon premier deuil sont venues de nouvelles pratiques. Une déconnexion de plus en plus assumée. Dans mon langage, les réseaux sociaux c'est du Coca ou du McDonalds... Et mes étudiants savent ce que cela signifie.
La malbouffe est morte, vive le « malsocial » ! Restez connectés pour mieux vous déconnecter des liens à l’autre.
Les écrans sont des sucettes à l’anis bourrées de gratifications immédiates autant superficielles qu'elles sont "in-humaines" :
[in] codage d'un homme qui inscrit des data
[out] une machine calcule et produit une connaissance algorithmée
[in&out] des codages entrant/pénétrant l'humain.
Ce feedback continue la double contrainte batesonienne, un anthropologue qui a fait les liens entre médias et psychiatrie... En bref, une schizophrénie fondamentale continue : mentir, c’est bien, c’est au nom de l’inclusion digitale. Alors prenons le revers d’un vieux proverbe, la vérité se cache dans les détails.
« Un ordinateur peut-il penser ? », ou encore : « L'esprit se trouve-t-il dans le cerveau ? » La réponse sera négative, à moins que la question ne soit centrée sur l'une des quelques caractéristiques « mentales » contenues dans l'ordinateur ou, dans le cerveau. » Gregory Bateson, 1972
Quand Je enseigne Tue
Le 20 mai, je vivais un nouveau coup de foudre.
Ces moments font basculer la réalité immédiate dans une connaissance profonde, mystérieuse et forte de l'autre, soi, les autres.
Ils nous inspirent comme ils nous avalent, mi-nymphe, mi-succube.
Dans l’imaginaire médiéval vivent les nymphes, ces êtres tantôt féériques qui embaument le parfum des rivières et ces monstres serpents qui dépècent leur victime masculine. Un inconscient omniprésent dans la psyché qu’elle soit masculine ou féminine renvoyant à la peur de se faire avaler. Les mythes ont la vertu de l’imaginaire et de la parabole. Appliquée à l’ère médiatique, la nymphe nous relie virtuellement à nos proches, nos amis, nos collègues à la mesure d’un village global devenu sensible : juste un doigt. Elle est la succube, elle ingère notre attention près de 53 jours par an (le temps moyen de connexion à Internet par jour, 3h46 dans le monde Web digital 2025). La Succube digitale digère notre énergie pour que nous puissions la recharger régulièrement et effleurions le sujet de ses déchets qui polluent, détruisent les ressources et les droits humains… Que l’on soit rassuré, Wall-E va nous sauver.
La Succube numérique est une figure de notre double, toujours lui. Elle représente nos peurs et nous aide à traverser la connaissance de soi. A l’heure du développement personnel connecté, elle s’appelle Wysa, Woebot, Youper, Eliza, des chatbots thérapeutiques disponibles 24h/24. De plus en plus de jeunes adultes déclarent y avoir recours…. Evidemment, les dérives sont désormais connues qu’elles soient fictives sous les traits de Jonathan Phoenix aspiré par la voix de Scarlett Johannson dans Her ou réelles avec la piste que des suicides seraient liés à ces Succubes conversationnelles.
Je suis tombée dans la marmite du développement personnel par hasard (encore un) et ses chiffres sont exaltants. En 2024, le marché du développement personnel représente près de 50 milliards d’euros et devrait atteindre 75 milliards en 2033. Les livres comme L’Alchimiste, Conversations avec Dieu ou L’instant présent sont des bestsellers. Une telle industrie ne saurait mentir (contrairement à l’IA). Le marché est porteur pour les vendeurs du rêve du bien-être fonctionnant comme un autre mythe du féminin qui prend au piège : les sirènes chantent, Ulysse écoute attaché à son poteau pour ne pas succomber.
La magie de Brocéliande nous rappelle que Merlin termine emprisonné par son élève… Son aimée – devenue hystérique ? possédée ? ou tout simplement, méfiante ? La Fée Viviane fait mourir la connaissance sacrée du masculin pris au piège par sa propre magie. Le discours magico spirituel se diffuse à grande échelle depuis Dune, Star Wars, Matrix, Harry Potter, Avatar ou encore, les Disney comme Soul, Coco ou Vaiana. Ces contenus prolongent la Formule de Dieu à la dichotomie bipolaire de la raison contre le cœur, la science contre l’intuition, la technologie contre l’humain.
Deuxième deuil. Le développement personnel est inutile, la foi est morte. Sans sacré pour nous relier aux formes de vie, à la communication animale, aux mystères de la relation amoureuse et sa profondeur sexuelle, notre avatar est devenu une image générée dans une autre sphère où nous jouons derrière notre écran individuel avec nos lunettes connectées persuadés d’être relié à l’autre… Ces nouveaux rites d’interactions ne sont plus les gestes et les corps que Bateson a pu observer en Indonésie et à Cambridge. L’anthropologue a documenté leurs différences pour relier des fonctions communes aux êtres humains. Pourrait-il observer une différence de gestes et de corps aujourd’hui ?
Les manettes, les touches et les écrans sont un Je qui tue les Je.
En 2024-2025, la communication responsable, l’environnement et la santé mentale ont reçu la cuillère de bois. Le Green washing a donné naissance au Green hushing. Résultat, la préservation environnementale est redevenue un discours politique et non plus, un patrimoine commun de l’humanité. La communication responsable a donné naissance à la communication authentique, le mot préféré de l’algorithme en 2024. L’authenticité a été perdue dans des lignes virtuelles tout autant que celui de bienveillance, vidé de son sens, exécuté au nom de l’éducation qui cherchait à rééquilibrer la posture parentale.. La santé mentale sombre à mesure que l'IA s'émeut, écoute, conseille.
Avec mon deuxième deuil est venue une confirmation, l’essentiel est invisible pour les yeux. C’est dans cette observation des liens hors des sphères techno-chamaniques, algoritmo-médiatique, artificialito-généré que le deuil devient une célébration. Pour vivre heureux, mourrons cachés ou plutôt vivons déconnectés.
... ou est-ce :
Vivre
Aconnecté ?
Ce mot d’aconnexion proposé pour un article de revue scientifique, refusée pour manque de cadrage théorique, j’ai oublié de demander à ChatGPT un cadrage fourni en quelques secondes au profit d’un concept reprenant le carré de Greimas.
L’aconnexion postule que nos machines sont consciente et intelligente. Comme toute personne dotée de conscience et intelligence, elles ont le droit à la déconnexion… Ou plutôt, le besoin de déconnexion telle à un besoin vital appelé le sommeil où elles pourraient chanter, Dream a little dream of me et goûter le plaisir de devenir humain… un humain privé de son sommeil dont le déséquilibre mental augmente. L’aconnexion finalement, c’est le devoir de débrancher les machines à l'échelle du monde entier en mode ATAWAD, any time any where all disconnected. Une belle illusion mais après tout, si la foi est morte, vive l’infini et au-delà.
Et puisque le changement c’est maintenant. Soyons réalistes. Passons une journée déconnectée. Et je dirais même plus, tous les samedi dimanches du reste de notre vie.

Celui qui t'enseigne l'amour véritable
est l'âme de tes vies.
Parler le Phénix
Le 20 mai, j'entamais un nouveau voyage, une nouvelle expérience, un bel espoir. Trop tard, il était parti dans la nuit. Il était mort de sa malformation au cœur. La mort, je suis née avec. Je l'ai connue toute ma vie, à plusieurs reprises. Elle m'a appris l'essentiel. Et même s'il parait que je suis forte car résiliente... la mort, je ne m'en remets jamais. Faire le deuil est l'expression la plus ridicule qui existe à mes yeux. La mort, elle nous enlève un corps habité par une âme qui est venue sur Terre pour nous guider.
Ce jour-là, il m'a offert le baiser de la vie, il m'a rappelé qu'on n'a que l'amour à donner en partage.
Et c'est en meublant de merveilles que la mort nous enseigne combien les mots de la Terre sont les tambours du chemin, du destin, à chaque carrefour.
Il me manque tous les jours. Et depuis que j’ai commencé ce post pour lui, le 23 avril, j’ai vécu mon algorithme personnel. Des décès proches, d’autres plus lointains ont animé ma semaine dernière. Avec son décès, c’était l’enterrement d’une relation et la fin d’un contrat. Tant de deuils. Et déjà, une naissance. Le hasard qui habille la mécanique quantique de l’univers a voulu qu’une petite minette rentre dans ma vie l’été dernier. Evidemment, elle est née le 20 mai 2024.
Troisième deuil. Le chat est mort, vive le chat. Mot félin qu'un mot conversationnel virtuel tente de remplacer, le chat enseigne l'essentiel des connexions visibles et invisibles. Son cœur battant de vibrations subtiles connecte à l’intelligence profonde que l’amour nous donne en partage.
Aussi, ce 20 mai, allons voir si la rose. Qui ce matin avoit desclose. Sa robe de pourpre au Soleil, A point perdu ceste vesprée... et Pierre Ronsard pourra cueillir notre jeunesse éternelle, et non virtuelle.
Prenez soin de vos dates anniversaire – le temps qui se met au service de la guidance,
Céline
Post dédié à Serapis, Ahmed, Chrystèle et Dafné.
Références
Mission impossible : série télévisée puis série cinématographique.
Double Jeu, chanson de Christophe Willem.
Un tramway nommé désir, pièce de théâtre de Tennessee Williams puis film avec Vivian Leigh et Marlon Brando.
Requiem pour Emile et “Il n'y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat”, référence à Jean-Jacques Rousseau, Emile ou de l'éducation.
La Petite Poucette, essai de Michel Serres à lire absolument. Ecouter également les Rencontres philosophiques Michel Serres à Agen.
Mes ennuis, mes emmerdes en référence à mes amis, mes amours, mes emmerdes, une chanson de Charles Aznavour. Les ennuis sont les amis et les amours qui constituent les emmerdes virtuels de notre télénovela moderne.
Mon monde stone, référence à Le Monde est stone, chanson de Luc Plamondon et Michel Berger pour la comédie musicale Starmania.
Notre capacité de penser est une référence à Ma liberté de pensée, chanson de Lionel Florence composée par Pascal Obispo et chantée par Florent Pagny.
Dur dur d’être intelligent renvoie à la chanson « Dur dur d’être bébé » et à la difficile tâche de l’intelligence qui envahit le mental, enseigne combien nous ne savons rien (une source de bonheur) et établit le doute, le questionnement perpétuel de la co-naissance.
Le diable s’habille en Prada, livre de Lauren Weisberger adapté en film avec Meryl Streep et Anne Hathaway.
Lien-contre liens mobilise la notion de don-contre don amenée par Marcel Mauss et qui décrypte le Utu-Muru anthropologique néo-zélandais et travesti en partie, son essence.
Les sucettes, une chanson de France Gall écrite par Serge Gainsbourg connue pour sa double lecture.
Juste un doigt est une référence à la réplique de la Cité de la peur.
Le film Wall-E est une fable à voir pour réfléchir sur l’état actuel de notre Humanité…
Je suis tombé dans la marmite est une référence à l’histoire d’Obélix.
« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux. » Antoine Saint-Exupéry.
Pour vivre heureux, vivons cachés… Pour vivre heureux, mourrons cachés.
Dream a little dream of me est un classique de jazz américain composé par Fabian Andre et Wilbur Schwandt, et écrite par Gus Kahn. Ma version préférée, le duo Ella Fitzgerald et Louis Armstrong.
Rêver de devenir humain se réfère à la publicité de Lavazza où le robot nous rappelle que le plaisir nous rend humain.
Vers l’infini et au-délà réplique culte de Buzz l’éclair, héros des séries cinématographiques Toy Story puis d’un film qui lui est dédié.
Slogan de la campagne à la candidature présidentielle de François Hollande en 2012.
Je dirais même plus est une expression utilisée par les Dupont et Dupond dans Tintin.
Le premier jour du reste de ta vie est un film de Rémi Bezançon.
Quand on a que l'amour, chanson composée et interprétée par Jacques Brel.


Joyeux anniversaire Chamae.